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De maigres ressources agricoles, mais beaucoup d’arbres fruitiers



Mais une riche culture ne peut suffire à nourrir ses hommes et ses femmes, et pourtant elle est le propre d’une société active, non déshéritée. Or, comme beaucoup de montagnes méditerranéennes, la Kabylie, certes refuge sûr pour ses très nombreux habitants, ne leur fournit cependant que de maigres ressources agricoles. Sur des pentes excessives et un sol pauvre et raviné, l’agriculture, même au prix de dur travail, est peu productive, la céréaliculture est difficile, seulement possible sur les replats ou dans les fonds de vallée. Aussi, au temps des Turcs, les Kabyles descendaient souvent, en armes, cultiver leurs céréales sur les terres des plaines bordières ou intérieures à la montagne : celle, au sud, de la large et longue vallée de l’oued Sahel-Soummam, celle, au centre, du bassin du Sebaou, entre la chaîne maritime et le massif Agawa, et aussi dans quelques bassins au pied nord du Djurdjura comme celui de Boghni – Dra el-Mizan. Mais, sur ces terres de plaine, les Kabyles entraient souvent en conflit avec les maîtres d’Alger, dont la cavalerie empruntait ces voies de pénétration pour s’emparer de la récolte à titre d’impôt et tenter de soumettre les montagnards. En outre, dans la plupart de ces plaines, les Turcs construisirent des bordj, « citadelles », et établirent alentour des étrangers ou transfuges kabyles à leur solde. Les plaines étaient devenues, pour les Kabyles, le bled el-baroud, le « champ de bataille ». Plus tard, une grande partie de ces riches terres de plaine auraient pu être accaparées par la colonisation, mais beaucoup ont été rachetées par quelques Kabyles fortunés.




Descendre de la montagne pour cultiver la plaine a toujours été une entreprise risquée, au point que le laboureur descendu dans la plaine était comparé au lion. Par ailleurs, le Kabyle pouvait être d’autant plus valeureux en plaine qu’il savait sa famille en sécurité dans la montagne : « Celui qui a les siens dans la montagne [enfants mâles ou alliés] n’a rien à redouter dans la plaine », disait-on. La céréaliculture des plaines a donc toujours fait cruellement défaut à l’économie de la Grande Kabylie, réduite aux seules productions montagnardes. Dans de telles conditions, la montagne ne peut se suffire à elle-même, aujourd’hui encore moins qu’hier.

 C’est pourquoi, de longue date, les Kabyles ont cherché, sur place ou ailleurs, mais dans d’autres activités que la céréaliculture, les revenus indispensables. Beaucoup de ceux qui habitent au-dessous de 800 m d’altitude pratiquent l’arboriculture, qui s’accommode des versants pentus, quitte à s’encorder pour planter les arbres : ils cultivent beaucoup de figuiers ( 80% de ceux de toute l’Algérie), des oliviers et d’autres arbres fruitiers (vignes, cerisiers, pommiers, poiriers, etc.); autrefois on vivait aussi de cueillette : les glands du chêne à glands doux (abellud) permettaient de compléter la trop rare farine ou semoule de blé; la plupart des Kabyles font aussi un peu d’élevage (quelques vaches, chèvres et moutons) tandis que dans les villages les plus élevés, certains, en été, engraissent des bœufs dans les prairies de montagne.
















D’actifs artisans et des commerçants voyageurs

Enfin, un très grand nombre de Kabyles se sont spécialisés dans un artisanat actif, au savoir-faire manufacturier très développé, productif de ces œuvres particulières à la culture tamazight (voire parfois spécifiquement kabyle) que l’on a décrites plus haut. Les savoir-faire masculins sont principalement l’industrie du bois productrice de plats, louches et cuillères spécifiquement berbères, la métallurgie en fer aux nombreux forgerons, l’armurerie d’armes blanches ou à feu souvent fort réputées, l’orfèvrerie aux célèbres bijoux kabyles à émaux cloisonnés multicolores et pendeloques si caractéristiques et de grande renommée. Quant aux savoir-faire féminins, ils concernent le tissage de tentures et tapis renommés au décor toujours géométrique et très travaillé, encore recherchés, et la poterie, maintenant souvent remplacée par le plastique.




Du commerçant itinérant à l’émigré

Parallèlement, tant les artisans que les habitants des villages les plus élevés se sont depuis fort longtemps lancés dans des entreprises commerciales. Très nombreux sont en effet les Kabyles – les Igawawen surtout – à avoir exercé le métier de commerçant itinérant. Au début de l’occupation française, 50% des hommes du « cercle de Fort-National » ont déclaré mener cette activité. Autrefois, ils parcouraient tout le Maghreb, de Constantine à Alger et jusqu’à Tunis, puis ce fut même jusqu’en France, puisque les premiers y apparurent dès 1905, pour vendre des tapis fabriqués par leurs femmes. Les uns se déplaçaient à plusieurs, en convois ou caravanes, les autres, plus nombreux, allaient seuls, à mulet ou à pied, mais tous étaient armés. Parmi les plus aisés venaient les marchands de bestiaux, tandis que d’autres allaient au loin négocier leurs œuvres, comme les sabres des Iflissen. Certains revendaient dans les campagnes divers tissus achetés en ville. Les plus nombreux étaient des hommes des villages les plus élevés, les fameux colporteurs kabyles ( iâttaren, « parfumeurs »), dont le seul sac à dos pesait parfois jusqu’à 50 à 60 kilos, empli de produits de parfumerie, divers savons et cosmétiques, drogues ou condiments de toutes sortes. Le commerce était profitable puisque cette pacotille pouvait, au terme d’une année de commerce, leur rapporter jusqu’à cinquante, voire cent fois leur mise de fonds. 

Ainsi, loin d’être cantonnés à demeure dans leur montagne où ils laissaient seuls, avec les plus jeunes et les plus vieux, leurs femmes et enfants à l’abri dans les villages perchés, les hommes de Kabylie ont de tout temps voyagé au-dehors : les uns furent commerçants, les plus nombreux itinérants, mais parfois fixes, lorsque, par exemple, ils installaient des épiceries dans les villes (comme beaucoup de montagnards méditerranéens, ils furent « l’épicier du coin » berbère – le Kabyle, le Chleuh, le Mozabite – comme le Grec, le Libanais, etc.); d’autres se firent ouvriers d’artisans citadins (entre autres dans la coutellerie); d’autres encore furent maçons (ne dit-on pas que la ville d’Alger a été construite par les Kabyles ?), voire employés de hammam – des bains dits « turcs » (comme les Aït Jennad à Oran) – ou soldats, ainsi des fameux Zouaouas au service des Turcs d’Alger ou de Tunis [11]. Après l’installation des colons dans la plaine de la Mitidja (près d’Alger), beaucoup de Kabyles ont d’abord émigré temporairement comme saisonniers ou plus durablement comme journaliers, avant que, à partir de 1905, nombre d’entre eux soient les premiers Algériens à franchir la Méditerranée pour émigrer en France en tant que travailleurs, où ils ont suivi les premiers colporteurs kabyles temporaires puisque, cette même année 1905, les Kabyles purent circuler librement hors d’Algérie.





 

Tag(s) : #Histoire de Tassaft et des environs: articles
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